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LE MANOIR DE VILLERAI

C’était par une magnifique après-midi d’octobre, ce mois pendant lequel nos forêts se montrent à l’œil de l’artiste avec une splendeur sans rivale et une richesse de couleurs incroyable, quand les teintes cramoisies et dorées du ciel semblent se réfléchir dans les arbres. Rose Lauzon revenait d’un pas rapide du Village où elle avait été porter un message. Toute sensible qu’était ordinairement son imagination aux scènes de la belle nature, le spectacle magique qui l’entourait ne toucha pas, ce jour-là, son cœur attristé. Les rayons brillants du soleil inondant la terre de lumière, les bois richement colorés bordant le petit sentier qu’elle parcourait, n’attirèrent pas même un seul de ses regards. Ses yeux doux et tristes ne virent que les feuilles mortes à ses pieds.

Elle atteignit bientôt la demeure de son père, et ouvrit doucement la porte. Comme les yeux du pauvre malade, qui, plein d’anxiété, avait attendu le retour de sa fille, brillèrent quand elle entra ; et quel tendre amour, quelle douce reconnaissance et quel orgueil paternel exprima le regard qu’il porta sur elle, quand elle s’approcha et s’assit à côté de son lit !

— Voyez, cher papa, lui dit-elle en tirant d’un petit panier qu’elle tenait à son bras de magnifiques grappes de raisin : voyez ce que madame Dubuc, la femme du notaire, m’a donné pour la petite couture que je lui ai faite cette semaine. Et ceci aussi, ajouta-t-elle en plaçant une petite pièce d’argent à côté des fruits. Vous vous souvenez, papa, d’avoir dit l’autre jour que des raisins apaiseraient un peu la soif brûlante dont vous vous plaignez si souvent ; mangez-en maintenant, tout de suite.

Combien Rose parut heureuse en voyant le plaisir que ressentit son père en goûtant de ces fruits depuis si longtemps désirés ! quels doux sourires ornèrent cette bouche sur laquelle depuis longtemps on n’en voyait que si rarement, pendant qu’il parlait du bien que ces fruits lui faisaient, et de la chance qu’elle avait eue de se procurer un tel régal ! Mais ce doux entretien fut brusquement interrompu par madame Lauzon qui poussa rudement la porte.

— Ah ! te voilà enfin, en regardant Rose avec colère. Où as-tu été depuis une demi-heure ? au village, sans