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frère. De vagues rumeurs sur l’inhabileté de sa belle-sœur étaient bien parvenues jusqu’à ses oreilles, mais entièrement occupée par son mari qui avait été confiné dans sa chambre pendant trois ou quatre mois avant sa mort, elle y avait à peine prêté attention. Elles se présentèrent alors devant elle dans toute leur affreuse réalité, et peut-être n’aurait-elle pu trouver de plus grande distraction à son légitime chagrin que le mu veau champ de regrets qui s’ouvrit devant elle.

— Comment, se disait-elle intérieurement, comment puis-je trouver le temps de pleurer Louis quand je vois sur la table de mon frère du pain aussi méchant et du beurre immangeable ? Comment puisse m’absorber à déplorer mon veuvage quand je vois ces misérables servantes de mon frère s’amuser avec leurs cavaliers pendant que le dîner brûle sur le poêle et que la crème se perd dans la laiterie ? Ah ! c’est désolant !

C’était en effet bien distrayant, car madame Chartrand n’avait pas été huit jours dans la maison, qu’elle avait oublié ses peines et son deuil, dans l’étonnement profond où l’avait jetée un examen plus attentif des gaspillages et de la mauvaise administration du ménage. Elle n’eut pour Geneviève d’autre sentiment que celui d’une pitié dédaigneuse, et un vif regret que Paul eût commis une aussi grave erreur dans le choix d’une épouse. Cette femme robuste et active, habituée dès le berceau au ménage, ne pouvait comprendre la langueur maladive et le découragement