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tions avec nos nouveaux maîtres, — n’eût été une circonstance toute fortuite, ou plutôt, pour être juste, un acte de courtoisie de sa part. Quelques instants après notre départ s’éleva une violente tempête de neige, accompagnée d’un vent piquant qui, malgré ma capote de peau d’ours et mes crémones de laine, ouvrage d’Antoinette, me saisit de part en part. Mes dents qui claquaient vivement trahirent mon malaise à mon compagnon qui, instantanément et avec une bienveillance pour laquelle je lui fus d’autant plus reconnaissant que j’avais préalablement repoussé une de ses tentatives d’entrer en conversation, prit le grand manteau qui recouvrait ses genoux — il en avait un autre sur lui — et insista pour que je m’en servisse. Après cela la conversation s’établit, et je ne tardai pas à découvrir dans mon compagnon, non-seulement une haute intelligence, mais encore un homme juste et libéral, entièrement exempt de préjugés qui sont la règle de conduite d’un si grand nombre de ses compatriotes. Nous discutâmes sur la situation actuelle du pays avec une franchise certainement indiscrète de ma part ; mais quoique je perdisse plusieurs fois patience, il conserva toujours sa modération, en maintenant son opinion avec une courtoisie qui lui fait le plus grand honneur. Sur plusieurs points nous nous sommes accordés, et j’ai vu facilement qu’il avait, comme moi, une grande horreur de tout ce qui ressemble à l’oppression. J’en ai eu une preuve indénia-