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LE MAGASIN DES ENFANTS.

lui : il me dit toujours que je suis aimable, spirituelle, savante, et mille autres jolies choses. Quand j’ai été près de la porte, j’ai entendu qu’il parlait de moi ; et je me suis arrêtée pour l’écouter. Le traître ! ah, ma chère ! je ne puis m’empêcher de pleurer encore, quand je pense à ce qu’il disait de moi. « C’est un mauvais esprit, une petite personne qui sera la peste de la société. » Dire que je serai la peste ! entendez-vous, ma chère ? c’est la plus vilaine chose du monde. Il disait encore que j’ai de l’orgueil comme un démon ; que je suis railleuse, moqueuse ; qu’il vaudrait mieux que je fusse bien ignorante que de continuer à m’instruire, parce que cela achèverait de me gâter, en augmentant ma vanité. Ensuite il a parlé de vous. « Elle est bien aimable, a-t-il dit ; elle parle peu, mais tout ce qu’elle dit est à propos ; je donnerais toutes choses au monde pour avoir un enfant de son caractère. » Il allait encore dire quelque chose, mais il a entendu monter papa et s’est tu ; et moi je me suis sauvée dans ma chambre pour pleurer. On m’a appelée pour déjeuner ; mais j’ai dit que j’avais la migraine, pour ne pas voir ce vilain homme, qui dit d’une façon et qui pense de l’autre. Après dîner, j’ai demandé à maman la permission de venir vous voir, pour vous dire tout cela, et vous demander comment vous faites pour avoir de l’esprit sans être une peste, une orgueilleuse.

SOPHIE.

En vérité, ma chère, je ne sais que vous dire ; je crois pourtant, si je suis bonne, que j’en ai l’obligation à mon institutrice. Elle me dit toujours qu’il y a deux sortes d’esprit : l’un qui ne sert qu’à nous faire haïr et mépriser de tout le monde, l’autre qui rend aimable, douce, vertueuse, et qui engage les personnes qui nous connaissent à dire du bien de nous ; et quand j’ai le mauvais esprit, elle me corrige.

JULIETTE.

Apparemment que j’ai le mauvais esprit ; qu’en pensez-vous, ma chère ? Vous ne voulez pas me répondre ; ne craignez point de me fâcher, je vous aime trop pour cela.