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fraternellement sur la même page ; je ressens par le souvenir, dans toute leur ardeur première, nos admirations, nos enthoutiasmes d’alors, et j’évoque nos anciens rêves. Nous étions deux enfants ; nous allions, confiants, vers l’avenir. Mais Verlaine n’a pas rencontré l’expérience, la froide et sûre compagne qui nous prend rudement par le poignet et nous guide sur l’âpre chemin. Il est resté un enfant, toujours.

Faut-il l’en plaindre ? Il est si amer de devenir un homme et un sage, de ne plus courir sur la libre route de sa fantaisie par crainte de tomber, de ne plus cueillir la rose de volupté de peur de se déchirer aux épines, de ne plus toucher au papillon du désir, en songeant qu’il va se fondre en poudre sous vos doigts. Heureux l’enfant qui fait des chutes cruelles, qui se relève tout en pleurs, mais qui oublie aussitôt l’accident et la souffrance, et ouvre de nouveau ses yeux encore mouillés de larmes, ses yeux avides et enchantés, sur la nature et sur la vie ! Heureux aussi le poète qui, comme le pauvre ami à qui nous disons aujourd’hui adieu, conserve son âme d’enfant, sa fraîcheur de sensations, son instinctif besoin de caresses, qui pèche sans perversité, a de sincères repentirs, aime avec candeur, croit en Dieu et le prie humblement dans les heures sombres, et qui dit naïvement tout ce qu’il pense et tout ce qu’il éprouve, avec des maladresses charmantes et des gaucheries pleines de grâce !

Heureux ce poète ! j’ose le répéter tout en me rappelant combien Paul Verlaine a souffert dans son corps malade et dans son cœur douloureux. Hélas ! comme l’enfant, il était sans défense aucune, et la vie l’a souvent et cruellement blessé ; mais la souffrance est la rançon du génie, et ce mot peut être prononcé en parlant de Verlaine, car son nom éveillera toujours le souvenir d’une poésie absolument nouvelle et qui a pris dans les lettres françaises l’importance d’une découverte.

Oui, Verlaine a créé une poésie qui est bien à lui seul, une inspiration à la fois naïve et subtile, toute en nuances, évocatrice des plus délicates vibrations des nerfs, des plus fugitifs échos du cœur ; une poésie très naturelle cependant, jaillie de source, parfois même presque populaire ; une poésie où les rythmes libres et brisés gardent une harmonie délicieuse, où les strophes tournoient et chantent comme une ronde enfantine, où les vers, qui restent des vers — et parmi les