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banales, de ne pas rendre le dernier soupir dans un des caravansérails de la mort. Grâce à cette créature, mégère autant qu’amante, qui le trompait, le maltraitait, le dépouillait, et était incapable de le comprendre et de l’admirer, il ne fut pas, à son heure suprême, un numéro, un paquet de chairs froides, qu’on porte à l’amphithéâtre, si les amis n’arrivent pas assez vite pour réclamer le résidu d’une carcasse humaine. Il expira dans une chambre privée, au milieu d’objets familiers, ayant sous les yeux, sous la main, les menus accessoires de sa vie quotidienne. Jusqu’à ce que sa noble intelligence ne fût plus qu’une exhalation perdue dans l’infini, il eut l’illusion désirée du « home » mortuaire.

Il ne lui manqua, pour compléter l’illusion berceuse du cerveau s’endormant pour toujours, que la présence, à cette minute suprême, de vieux et chers amis, comme Coppée et moi, et celle de son fils Georges.

Le fils de Paul Verlaine, malade au sortir du service militaire, n’a pu assister, en effet, ni aux derniers moments de son père, ni aux obsèques. Il avait été frappé d’une sorte de congestion, issue, paraît-il, d’expériences d’hypnotisme.

Mme  Delporte, la femme remariée de Verlaine, a donné les renseignements suivants sur son fils Georges, après le décès :


Mon mari, moi et mes deux petits enfants, nous avions quitté l’Algérie au commencement de juillet, laissant Georges qui aimait ce pays et désirait s’y établir. En partant, je lui avais donné une petite somme d’argent, qui, d’après ses goûts modestes, devait le faire vivre pendant plusieurs mois. Brusquement, en quelques semaines, il se trouva dénué de tout. Il avait perdu la mémoire ; lorsqu’on lui parlait, il paraissait s’éveiller brusquement ; il avait des gestes automatiques, une voix toute changée, et les allures d’un somnambule.