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notre ami, mais il était d’un caractère plutôt réservé, et j’attribuais à la gravité du moment et à l’angoisse patriotique son attitude attristée aux premiers jours de l’incorporation. Ce ne fut que beaucoup plus tard que nous apprîmes qu’un amour secret et douloureux, pour celle qui allait devenir la femme de son ami, avait surtout motivé son enrôlement (il était, comme moi, doublement exempté du service actif, comme fils de veuve, et comme ayant amené au tirage au sort un fort numéro). Les phrases attendries et navrées de Verlaine expliquent cette poétique et tragique aventure d’amour et de sacrifice du jeune Viotti.

Les Mémoires d’un veuf renferment quelques pages de critique : entre autres, une histoire succincte et assez exacte du Parnasse contemporain. Verlaine a fort bien montré l’influence décisive de ce groupe sur le goût et l’opinion littéraires de notre temps :

« Certes, dit-il, l’époque actuelle n’est pas à la poésie, et l’on courrait risque de passer pour un imbécile à trop insister sur cette accablante vérité, mais il faut admettre que l’esprit public, je veux dire, bien entendu, parmi les lettrés, a du moins, de nos jours, plus d’ouvertures et d’aperçus sur l’art de lire les vers ; il en sent le nombre, la musique, et distingue presque toujours les mauvais versificateurs d’avec les bons ; tout lecteur un peu intelligent, d’entre les hommes habitués aux choses de l’esprit, a maintenant ce que j’appellerai l’oreille rythmique, et pourrait dire, par exemple, « bonne coupe, rejet oiseux, rimes précieuses, etc. ». En un mot, l’éducation du public liseur de vers est faite, elle est bonne, ou du moins très suffisante, et elle laissait tant à désirer avant que parussent le Parnasse et les discussions qui s’engagèrent à son propos. Il suit de là