zigzaguait au-dessous d’un nez socratique ? Évidemment ce n’était pas un bohème vulgaire. Henry Baüer qui, par la suite, a fort bien conté cette première vision qu’il eut du poète vagabond, auquel il trouvait alors des allures sinistres et inquiétantes, m’interrogea sur son compte. Mon visiteur étrange intriguait fort les oreilles et déconcertait les esprits. On était surpris de saisir quelques lambeaux de nos longues et décousues conversations. On nous entendait parler littérature, philosophie, histoire : nous citions des livres aux noms disparates et se choquant : le Ramayana et Gaspard de la Nuit, Port-Royal de Sainte Beuve et l’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly, le Faust de Marlowe et la Dévotion à la Croix de Calderon, les Nuits d’Aulu-Gelle et les Rhapsodies de Pétrus Borel.
De plus, mon compagnon jetait familièrement, parfois en les accompagnant d’épithètes cordiales ou d’adjectifs caractéristiques, mais peu respecteux, au milieu de ses propos, scandés par les aspirations de bière brune ou de verte absinthe, les noms des plus notoires célébrités contemporaines : Victor Hugo, Leconte de Lisle, Heredia, Coppée, semblaient être connus de lui et personnellement. On était très intrigué à la rédaction.
J’avais répondu simplement à la question d’Henry Baüer en désignant mon ami : « C’est Paul Verlaine, un grand poète. » Baüer avait répondu poliment : « Ah oui !… » puis s’était éloigné, paraissant peu renseigné. À quelques jours de là, je lui remis un exemplaire des Romances sans paroles. Il emporta le petit livre, le lut et me dit : « Vous aviez raison, Verlaine est un très grand poète ! » Et depuis il est demeuré un des fervents admirateurs de l’auteur, un sincère verlainien.
Le Réveil, duquel est issu l’Écho de Paris, était un