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Gourmandant les chevaux ainsi que de raison,
Sans colère, et criant : diah ! et criant : hue !
Je te voyais herser, rouler, faucher parfois,
Consultant les anciens, inquiet d’un nuage,
L’hiver à la batteuse ou liant dans les bois,
Je t’aidais, vite hors d’haleine et tout en nage.
Le dimanche, en l’éveil des cloches, tu suivais
Le chemin de jardins pour aller à la Messe…


Ce jeune homme était pieux. Nouveau motif d’attachement pour Verlaine.

Pauvre gabarre désemparée, son âme espérait sans cesse trouver un port dans la religion. Ce n’était pas la bonne volonté qui lui faisait défaut, c’était la foi vraie, la certitude aussi. Il avait trop lu dans sa jeunesse Louis Büchner, Moleschott, Feuerbach et autres philosophes scientistes et matérialistes. Il espérait que ce jeune et simple croyant, avec lequel il disputait, « notre entretien était souvent métaphysique », et qui opposait à ses doutes « sa foi de charbonnier », le maintiendrait, le ramènerait dans ce sentier de la foi, où il faisait surtout la profession buissonnière.

Il évoque ensuite son ami en militaire, car, dans une partie à lui consacrée d’un de ses recueils [Amour], il l’a dépeint sous vingt traits et dans autant d’attitudes, réelles ou fictives. Lucien Létinois devait faire son service militaire, brutalement abrégé par la mort, dans un régiment d’artillerie, à Paris. Ce souvenir hante son esprit attristé, et le poète, l’âme dépareillée, exhale sa douleur en des vers exquis :


Je te vois encore à cheval.
Tandis que chantaient les trompettes,
Et ton petit air martial
Chantait aussi, quand les trompettes.
Je te vois toujours en treillis,