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peut-être comme saveur à l’esprit, que le « digito monstrari ». Cet incognito, dont les princes n’ont qu’en apparence le privilège, et qui flatte et qui gratte délicieusement, à l’endroit le plus sensible de l’âme, est un plaisir, pour ainsi dire, anormal. Verlaine dut s’y livrer comme à une intime débauche. Il éprouvait, dans sa chambre solitaire aux aspects de cellule, une jouissance intense, quasi-perverse, à corriger, à recopier des vers, tour à tour élégiaques, sentimentaux, passionnés, dévots et amoureux, en se cachant comme pour une mauvaise action. Avec une ironique et orgueilleuse satisfaction, il se disait : « Nul œil ne me voit ouvrir mes poèmes mystérieux, nulle oreille n’entend le chant silencieux de mes rythmes, et personne, parmi les braves gens de ce collège, ne saurait se douter que je suis Verlaine, Paul Verlaine, le poète saturnien, le poète précieux des Fêtes galantes, le poète sensitif, souffrant, fantaisiste et railleur à la fois, des Romances sans paroles, bientôt le grand poète chrétien de Sagesse… »

Plus tard, les bons prêtres apprirent, non sans un naïf émoi, quel hôte extraordinaire ils avaient abrité. Ils ne comprirent pas très bien, malgré l’explication donnée, le personnage qu’ils avaient vu, si modeste, s’asseoir à leur réfectoire, partager leurs simples conversations, s’intéresser à leurs menus propos d’internat, s’agenouiller avec eux à la chapelle, et, comme eux, corriger les devoirs des élèves. Le professeur de rhétorique, l’abbé Dogny, évoqua le souvenir classique d’Apollon chez Admète. Ils ne furent, d’ailleurs, ni scandalisés ni vexés. Habilement on vanta les mérites chrétiens du poète, on cita au supérieur, préoccupé des temps difficiles et des législateurs peu commodes, les iambes vengeurs sur les révérends pères expulsés : « Vous reviendrez bientôt