Ces deux conversions ne furent pas le résultat unique de l’incarcération. Il est certain que l’emprisonnement agit sur les sentiments, les idées, les concepts, et par conséquent sur la faculté de rendre en prose, et surtout en vers, les rêves, les désirs, les élans et les sensations du poète tiré brusquement de son milieu, enlevé du cercle où se mouvaient ses actes et ses pensées. Une transplantation brutale et soudaine doit fatalement modifier la plante humaine. C’est une loi physique générale. On ne voit pas les choses de la même façon à travers les barreaux d’un cachot, que de la terrasse d’un café. On ne respire pas à l’ombre d’une muraille comme au grand soleil. Tout changement de climat prolongé, entraîne un changement dans l’ordre physique, comme dans la contexture morale de l’individu.
Nous avons déjà noté trois changements, trois états d’âme différents dans notre poète : d’abord, la première jeunesse, l’éducation lycéenne, voltairienne, classique, puis l’initiation romantique, la culture parnassienne, puis encore le mariage et ses premières joies, l’enthousiasme patriotique et une certaine exaltation, sinon révolutionnaire, du moins démocratique, anti-religieuse. À ces périodes correspond une conception poétique descriptive, objective, pompeuse, décorative, plastique, virulente et un peu déclamatoire : Poèmes Saturniens, Fêtes Galantes, la Bonne Chanson, les Vaincus. Malgré son caractère personnel, presque biographique, le recueil de la Bonne Chanson était encore en partie extériorisé. Le poète, en cet épithalame, célébrait ses désirs d’amant, et aussi exprimait-il les sentiments et les extases d’un fiancé, du fiancé en soi, pour user de la terminologie pédantesque des philosophes. Il y avait un écho général, un cri universel, dans ce chant du coq