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LA LÉGENDE DE PAUL VERLAINE

preuve, ni au tribunal civil, lors du procès de séparation de corps, ni devant la Cour de Brabant, dans l’instance pour coups et blessures, n’a pu être apportée contre Verlaine. La légende seule s’est répandue, propagée en partie avec bravade, avec une fatuité extraordinaire et sotte, par celui qui en a été et en est demeuré la victime.

Je rappellerai seulement que ce pauvre Verlaine a eu toute sa vie emplie par un immense amour féminin, un seul, et quel amour ! L’amour conjugal déçu. L’originalité de Verlaine se retrouve dans sa vie autant que dans son œuvre. À défaut de l’absente, dont il évoquait perpétuellement le souvenir, irritant et charmeur, dont il revoyait, en des songeries douloureuses, l’image à la fois détestée et adorée, il chercha des dérivatifs et des apaisements un peu partout où il les trouvait, surtout au cours des dernières années de sa vie. Il n’eut pas toujours des choix amoureux très relevés, mais pouvait-il choisir ? L’humilité même de ces amours, de ces « collages », prouve son désir, son goût, son besoin de la femme. Cent poèmes, sans parler des œuvres purement érotiques, témoignent de ses ardeurs affectives, et le montrent féministe très entraîné. Il eut toujours peu de tendance à l’amour sentimental, et les rapports physiques étaient seuls importants et intéressants pour lui, dans le commerce des femmes. Ses dernières relations féminines furent vulgaires, plutôt méprisables, et les pauvres maritornes qu’il accostait étaient incapables de le comprendre et de le consoler, mais elles régalaient de leur mieux sa fringale voluptueuse.

S’il ne fut jamais amoureux extatique, à la façon des soupirants romanesques, et s’il ne demandait guère aux femmes rencontrées, depuis la privation de la chère beauté dont son âme était hantée, que les qualités de la compagne de table et de lit, il avait des amitiés senti-