Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/383

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le prisonnier paraissait vouloir se reprendre un peu à l’existence ordinaire. Il se confinait moins dans sa tristesse, et éprouvait de vagues désirs d’extérioriser sa pensée. Il me demandait, pour la première fois depuis son incarcération, des nouvelles de la politique. Il est vrai qu’un certain intérêt se rattachait, pour lui, aux événements intérieurs de la République française, à raison des démarches qu’on faisait, d’ailleurs bien inutilement, pour obtenir, par la voie diplomatique, une grâce ou une réduction de peine. Le gouvernement belge n’eut pas à donner un refus, car du quai d’Orsay aucune demande, ni officielle ni officieuse, ne parvint à Bruxelles.

Confiant dans cette grâce chimérique, le détenu m’écrivait cependant :


Mons, 1874.

… Je me vois forcé d’ajourner le fameux volume sur les Choses. Ça nécessiterait trop de tension d’esprit. Ici je ne puis travailler beaucoup, sans me faire mal.

Sans causer à plume déboutonnée, nous pouvons néanmoins correspondre. Aucun inconvénient à ce que, en termes modérés, tu me donnes quelques nouvelles. Cela me fera tant de plaisir. Je compte donc sur prochaine lettre.

Tu me diras quel éditeur tu as en vue pour mon prochain volume. C’est cocasse cette proscription de chez Lemerre ; cela date de la Commune, le croirais-tu ? Leconte de Lisle, qui laissait pousser sa barbe, me tient depuis ce temps pour un ogre. Probable que, depuis mes dernières affaires, c’est encore pis. Lemerre, je le sais, n’y est pour rien, dans tout ça, et je lui serre la main.

Renseigne-moi aussi un peu de politique.

Je n’ai aucune idée de ma future mise en liberté. Avec le système d’ici, j’ai, par le fait de mon emprisonnement dans une prison cellulaire, six mois de réduction, ce qui, avec les cinq que je vais avoir faits déjà, me laisse encore 13 mois ! mais je dois compter sur d’autres petites réductions usuelles : deux mois, trois mois, surtout avec les bonnes notes que j’ai.