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Cette dernière phrase, où le prisonnier, anxieux, demande qu’on cache son état maladif à sa mère, est touchante. Elle fait ressouvenir de la recommandation du condamné, dans la chanson du Capitaine : « Soldats de mon pays, ne le dites pas à ma mère… »

Une seconde lettre, de la même époque, me presse de terminer l’impression des Romances sans paroles, et contient derechef des plaintes et des soupirs. Toujours la hantise de sa femme ! Toujours cette obsession lancinante ! Le malheureux était décidément possédé, et son envoûtement donne créance à la vieille croyance, aux sortilèges, aux femmes qu’on a « dans le sang ».


Dimanche.
Mon cher ami.

Je te remercie bien de tes bons souvenirs et j’envoie à Laure toute ma gratitude pour ses bonnes lettres à ma mère. Quand celle-ci sera à Paris, qu’elle aille la voir souvent.

Hein ! quel malheur qu’une mauvaise femme sotte et butée ! Elle aurait pu être si heureuse, si, pensant à son fils, et se ressouvenant de son vrai devoir, elle m’eût rejoint alors que je l’en ai priée, surtout dernièrement, quand je l’avais prévenue que des malheurs arriveraient, si elle persistait à me préférer sa famille. Comment la qualifier, cette famille ? Vous avez été témoins, toi et ta sœur, de mon chagrin, de ma longanimité et de mes sacrifices. Toi, tu m’as vu en des circonstances terribles, seul, et ne pensant qu’à cette malheureuse, et tremblant et pleurant à l’idée que je pourrais ne pas la revoir, — et tu vois ce qu’elle a fait !

Je ne lui garde aucune amertume. Dieu m’est témoin qu’encore aujourd’hui je lui pardonnerais tout et lui ferais une vie heureuse, si elle devait enfin ouvrir les yeux sur l’énormité de sa conduite à mon égard et à l’égard de ma mère, si bonne pour elle et si méritante en tout.

Je dois, me semble-t-il, s’ils ont l’indignité de persister encore dans leur infâme action, résister jusqu’au bout, mais pour cela j’ai besoin d’être là… Obtiendrai-je un renvoi à un an ? Ma mère, d’ailleurs, te parlera.