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tracisme dont Verlaine demeurait frappé. Il m’avait envoyé son manuscrit avant son retour en Angleterre, en mai 1873. Je ne pus décider aucun libraire à mettre son nom sur la couverture. Ceci paraît absurde aujourd’hui. Alors c’était considéré comme digne. L’accident de Bruxelles étant survenu, je me décidai à éditer moi-même, tant bien que mal, le poème du prisonnier. Ce serait pour lui une joie, car il me parlait de cette publication dans toutes ses lettres, et je m’efforçai d’apporter cette douceur au pauvre détenu.

J’avais alors quitté Paris, sous la pression de circonstances dont j’ai déjà dit un mot. Un coup d’État parlementaire [24 mai 1873] avait renversé M. Thiers, et porté au pouvoir le maréchal de Mac-Mahon. L’état de siège régnait à Paris. Le journal républicain où j’écrivais, le Peuple Souverain, organe petit format à 5 centimes, à grand tirage, précurseur des Petit Parisien et des Lanterne, car alors il n’y avait que le Petit Journal, dans ce format et à ce prix, parmi les organes politiques, fut brusquement supprimé par un arrêté du général Ladmirault, gouverneur militaire de Paris. Le prétexte était un article, qui aujourd’hui paraîtrait anodin et impoursuivable, sur la liberté de la presse, ayant pour titre « Un Édit de Louis XV » et pour auteur Édouard Lockroy.

La disparition de ce journal, c’était la suppression du travail, du pain quotidien, pour cinq cents personnes, rédacteurs, employés, ouvriers, vendeurs. La mesure arbitraire privait ainsi la démocratie d’un champion jugé redoutable. Le directeur, mon ami Valentin Simond, qui depuis a fondé d’autres journaux, dont l’Écho de Paris, résolut de continuer la publication du journal, en le transférant sur un territoire non soumis à l’état de siège.