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LA LÉGENDE DE PAUL VERLAINE

des déclassés et des alcooliques tels que lui, il retrouvait là comme la parodie d’un intérieur, avec de la compagnie, un bien-être relatif, l’abri contre la pluie, la neige et surtout contre l’isolement. C’était aussi l’évasion du garni inconfortable, l’apparence d’un salon bourgeois retrouvé. Un photographe, braquant son objectif sur les hommes de lettres notoires, pris dans leurs élégants intérieurs, a exposé le poète de Romances sans paroles vautré sur une banquette de café, méditant des vers, le coude appuyé à la table de marbre habituelle, un verre d’absinthe à portée, et il a inscrit au-dessous : « Paul Verlaine chez lui. » C’est plutôt la faute d’une société, qui se prétend lettrée, artiste, intellectuelle et raffinée comme la nôtre, quand un poète de l’envergure de celui-ci n’a pas à sa disposition un logement modeste et le pain quotidien assuré, alors que tant de scandaleuses sinécures sont prodiguées à des écrivains sans talent, sans valeur, mais intrigants, souples et distingués.

Un dernier mot en ce qui concerne l’accusation de mœurs contre nature, qui a été souvent portée contre Verlaine. Il plaisantait imprudemment sur ce sujet scabreux. Il avait des sourires équivoques et cyniques quand on faisait allusion à quelques-unes de ses amitiés notoires, qualifiées de compromettantes. Il semblait alors vouloir braver l’opinion. Il émettait, sur ces passions anormales, des théories paradoxales, des appréciations indulgentes et même favorables, dont plusieurs de ses poèmes ont gardé la trace, complétant et corroborant ses audacieux propos de table. S’est-il borné à la théorie, qu’il jugeait amusante, et dont il semblait être tout fier, ou bien a-t-il succombé au désir de la pratique ? J’affirme l’ignorer. Il ne m’a jamais fait d’aveu formel. Au contraire, dans les circonstances solennelles, renonçant