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nelle, et Verlaine n’a que le produit de son travail et quelque argent que lui donne sa mère ; nous sommes venus ensemble à Bruxelles au mois de juillet de l’année dernière, nous y avons séjourné pendant deux mois environ ; voyant qu’il n’y avait rien à faire pour nous dans cette ville, nous sommes allés à Londres. Nous y avons vécu ensemble jusque dans ces derniers temps, occupant le même logement et mettant tout en commun. À la suite d’une discussion que nous avons eue, au commencement de la semaine dernière, discussion née des reproches que je lui faisais sur son indolence et sa manière d’agir à l’égard des personnes de nos connaissances, Verlaine me quitta presque à l’improviste, sans même me faire connaître le lieu où il se rendait ; je supposai cependant qu’il se rendait à Bruxelles ou qu’il y passerait, car il avait pris le bateau d’Anvers ; je reçus ensuite de lui une lettre datée « en mer », que je vous remettrai, dans laquelle il m’annonçait qu’il allait rappeler sa femme auprès de lui, et que, si elle ne répondait pas à son appel, dans trois jours, il se tuerait ; il me disait aussi de lui écrire poste restante à Bruxelles ; je lui écrivis ensuite deux lettres, dans lesquelles je lui demandais de revenir à Londres ou de consentir à ce que j’allasse le rejoindre à Bruxelles ; c’est alors qu’il m’envoya un télégramme pour venir ici, à Bruxelles ; je désirais nous réunir de nouveau, parce que nous n’avions aucun motif de nous séparer.

Je quittai donc Londres, j’arrivai à Bruxelles mardi matin, et je rejoignis Verlaine ; sa mère était avec lui ; il n’avait aucun projet déterminé, il ne voulait pas rester à Bruxelles, parce qu’il craignait qu’il n’y eût rien à faire dans cette ville ; moi, de mon côté, je ne voulais pas consentir à retourner à Londres, comme il me le proposait, parce que notre départ devait avoir produit un trop fâcheux effet dans l’esprit de nos amis, et je résolus de retourner à Paris ; tantôt Verlaine manifestait l’intention de m’y accompagner, pour aller, comme il le disait, faire justice de sa femme et de ses beaux-parents ; tantôt il refusait de m’accompagner, parce que Paris lui rappelait de trop tristes souvenirs ; il était dans un état d’exaltation très grande ; cependant il insistait beaucoup auprès de moi pour que je restasse avec lui ; tantôt il était désespéré, tantôt il entrait en fureur ; il n’y avait aucune suite dans ses idées : mercredi soir, il but outre mesure et