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PAUL VERLAINE

la fin. Il fut vite désabusé, doublement. Ce capital, qu’il avait mordu, dévoré, en vingt ans toutefois, au lieu d’en brouter prudemment et sagement les rentes et les dividendes, sa plume ne pouvait ni le reconstituer, ni le remplacer au jour le jour. L’instrument était merveilleux, mais le travail qu’il accomplissait peu productif. La gloire, et non l’argent, sortait du sillon laborieusement tracé par le poète surpris et découragé. Ce fut alors qu’il résolut de s’arracher au milieu famélique et hasardeux des chemineaux de la littérature, quêtant à droite et à gauche le prix de la copie. Il voulait fuir ces champs de bataille mesquins où l’on combat pour une pièce de cent sous. Les marchandages, déjà subis, avec l’éditeur Vanier, les sollicitations, les attentes, les humiliations dans l’antichambre des mercantis de la presse et de la librairie l’épouvantaient. Il me pria, très sagement, de faire des démarches auprès de Charles Floquet, alors préfet de la Seine, pour obtenir sa réintégration dans les bureaux de la Ville. N’était-ce pas là décision raisonnable et rêve tout à fait bourgeois ? Malgré mes efforts et la bonne volonté du préfet, la démarche échoua. L’hostilité bureaucratique ferma au poète inquiet cette porte secourable. Verlaine, découragé, se sentant pris dans la nasse de la fatalité et de la misère, cessa d’aspirer à la vie bourgeoise, régulière, où le couvert est mis tous les jours, où l’argent entre dans la maison toutes les fins de mois. Il fit le plongeon dans l’aventure, dans l’ivresse, dans la vie décousue et inféconde. Il n’avait pu redevenir chef de bureau, il devint bohème. Alors seulement la légende a en partie raison, et encore charge-t-elle les traits et dénature-t-elle les actes de ce « poor Lelian » qu’on a trop souvent et trop facilement comparé à Villon.