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LA LÉGENDE DE PAUL VERLAINE

et la condition vraie de ce fils de famille provinciale, le père officier, la mère propriétaire terrienne, bourgeoisement éduqué, pourvu de diplômes, possesseur de revenus dès le berceau, ayant même vécu vingt ans en rentier, et non en vagabond, voyageant, dépensant, paressant, sans avoir été astreint à aucune tâche régulière ou bureaucratique, et, en somme, n’ayant mené l’existence bohème des derniers jours, que contraint par les circonstances, parce que son capital était absorbé, et que la littérature ne lui fournissait que d’intermittents et insuffisants subsides. Il avait en horreur et mépris les classiques poètes miséreux, souffreteux sans asile, tapant aux portes d’amis et sonnant au seuil des hôpitaux. Il fuyait la réputation geignarde des Malfilâtre et des Gilbert. Poète maudit, certes, mais non pas gendelettre mendiant. S’il a été, dans la dernière phase de son existence désorbitée, secouru, ce fut, avec spontanéité, par des amis, et si la Ville de Paris l’hospitalisa, ne lui devait-elle pas asile comme à tout citoyen atteint par la maladie et l’infortune ? Il ne voulut jamais être un professionnel de l’hôpital, et il éprouva une joie suprême à ne se point trouver en un lit administratif, à sa dernière heure.

Quand ses ressources furent taries, son patrimoine et ses héritages consommés, — mal gérés, en partie gaspillés par lui, absorbés par des liquidations onéreuses et diminués par la captation d’un ecclésiastique spéculateur et indélicat, — il voulut gagner sa vie. Il pensa que ses poésies, ses livres, ses articles suffiraient à lui donner l’équivalent de ce capital qu’il avait légèrement dispersé, croyant peut-être, dans sa naïveté d’homme d’art, peu calculateur, qu’il représentait une fortune durable et que la mort ou la richesse viendraient avant qu’il n’en vît