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PAUL VERLAINE

sentiments, comme les sensations, lui apparaissaient sous la lentille. Ironique héraut de lui-même, il se proclamait un pervers. Il s’avançait, sous les yeux de ses amis, puis de la foule, en sonnant de la trompe, et se présentait, dans la lice de la publicité, comme un chevalier de la dépravation. Il battait la caisse autour des prétendues débauches qu’il se reprochait publiquement, tout en regrettant en secret de ne les avoir point connues. Il se glorifiait d’impuretés qu’il ne commettait qu’en imagination. Il y a surtout de l’emphase dans son autognosie. Il fut, pour ses penchants, pour ses voluptés, pour ses prétendues infamies, un grand illusionniste.

Loin de moi la pensée de vouloir transformer Verlaine en petit saint, d’en faire le modèle du bon bourgeois, époux modèle et vertueux citoyen. Il ne fut même pas, on le verra ci-après, le meilleur garde national. La banalité de ces formules d’épitaphes courantes ne serait pas de mise. Toutefois, Verlaine ne fut pas le truand contemporain, le ribaud attardé que se représentent avec curiosité, avec dégoût, selon les mentalités de chacun, les publics bourgeois à prétentions lettrées.

J’ai déjà protesté contre la légende, au bord de la fosse qui engloutissait mon ami. Au petit cimetière des Batignolles, j’étais trop accablé pour avoir songé à préparer un discours. J’avais accompagné la bière qui emportait un peu de moi-même, le cœur serré, le cerveau lourd de souvenirs, de tristes constatations, sans avoir pris la précaution de me munir du petit pot de fleurs rhétoriciennes, arrangées selon les règles, et parées au goût du jour, qu’on dépose sur les tombes dont on a l’accès oratoire. Dans les paroles douloureuses et sincères que j’improvisai, j’ai essayé de réfuter les racontars imprimés et verbaux, j’ai voulu donner la physionomie exacte