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comme Rimbaud répondait insolemment qu’il ne se gênerait pas pour continuer à parler, Carjat lui dit : « Morveux, si tu ne te tais pas, je vais te tirer les oreilles ! »

Alors l’éphèbe, furieux, courut vers un coin de la salle, et prestement s’arma de cette canne à épée que Verlaine portait toujours à cette époque, et qui faillit être l’instrument de deux ou trois sinistres. Rimbaud fonça sur Carjat, et l’on eut toutes les peines du monde à le désarmer. Carjat fut même légèrement blessé à la main. Rimbaud fut confié à un jeune peintre, blond et superbe gas, Michel de l’Hay, qu’on surnommait alors « Pénutet », qui l’emmena dormir et se dégriser dans le calme de son atelier.

L’algarade avait produit mauvais effet. Le doux Valade, Albert Mérat, d’autres poètes paisibles décidèrent que l’on n’inviterait plus Rimbaud aux Vilains Bonshommes. Si Verlaine voulait venir, il serait toujours le bien reçu, à cette table amicale, mais qu’il n’amenât plus ce garçon insupportable, qui supportait si mal la boisson et les vers qui n’étaient pas de lui.

Verlaine se montra froissé de l’exclusion dont Rimbaud était l’objet. Il attribua même à cette mise à l’écart un motif qui n’était alors dans l’esprit de personne. Ce fut là certainement le point de départ de sa séparation volontaire d’avec ses amis de jeunesse, et le commencement de la rupture de plus en plus grande avec ses compagnons des débuts littéraires.

Rimbaud était, il est vrai, un peu agréable convive. Pour faire plaisir à Verlaine, je l’invitai une fois chez moi, rue Lécluse, à Batignolles, et il fallut toute mon énergie pour le maîtriser. D’abord, il ne desserra pas les dents pendant toute la première partie du repas, n’ouvrant la bouche que pour demander du pain ou à