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autres, l’hébergea quelque temps, puis Mme de Banville lui acheta un lit qu’on plaça dans le laboratoire de Charles Cros. Il coucha ainsi successivement chez nombre d’artistes et de poètes, hospitaliers et bienveillants, qui n’eurent guère à se louer de leur locataire. On s’était cotisé pour l’aider à subsister. Il recevait une rente de trois francs par jour, devant lui permettre de se consacrer au grand art, sans souci du produit. Il courut surtout les cafés, en compagnie de Verlaine, et son labeur fut principalement digestif et éliminatoire des boissons, car il mangeait comme un ogre et buvait comme un templier.

Très entiché de son prodige, Verlaine le produisait partout, le prônant, l’exaltant, surexcitant sa nervosité vaniteuse. Victor Hugo, à qui on l’avait amené comme un successeur direct, le salua, avec sa solennelle ironie bénisseuse, de « Shakespeare enfant ». Le maître n’en croyait pas un mot, mais il aimait à prodiguer ces hyperboles de l’éloge et du pronostic à des débutants, qu’il souhaitait incorporer parmi ses lévites.

Verlaine, de plus en plus emballé sur son compagnon, le fit admettre au « Coin de table » de Fantin-Latour, tableau exposé au Salon de 1872, et qui offrait les physionomies de poètes et d’écrivains, alors à l’aube de la notoriété : c’étaient MM. Jean Aicard, Léon Valade, Émile Blémont, Pierre Elzéar, Bonnier-Ortolan, Ernest d’Hervilly, Camille Pelletan, Verlaine et Rimbaud. Ce tableau appartient aujourd’hui à M. Émile Blémont.

Le petit prodige cependant ne réussissait guère à Paris. D’abord, il se grisait et ne composait plus de vers. Son silence dédaigneux, ses petits airs arrogants, lassèrent les meilleures dispositions. Deux de ses biographes, MM. Jean Bourguignon et Charles Houin, qui