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PAUL VERLAINE

parfois surabondante. Rarement il s’excusait. Il ne rejetait sur personne une responsabilité, un entraînement, une incitation, sauf quand il évoquait la Femme maudite et regrettée, peut-être aimée encore, la Dalila conjugale, qu’il accusait de l’avoir livré aux désordres et aux vices, faible, désarmé, impulsif. Durant ces heures surexcitées, où il prenait un plaisir caustique à étaler sa plaie et à l’irriter, il se laissait emporter par l’exacerbation de sa douleur intime mise à vif. Il y avait un peu de cabotinage dans ce prurit démonstratif. Ces confessions, commencées à la clarté du gaz, au café Rouge ou au François Ier, poursuivies sous les rais grisâtres de l’aube, entre deux haltes finales aux débits entrouvrant leurs portes, faites à des camarades sceptiques ou à des auditeurs complaisants et adulateurs, qu’il qualifiait de disciples, n’étaient pas exemptes de hâblerie.

Verlaine avait le tempérament romantique. Les éducateurs de la prime jeunesse, ceux qui dominent le cerveau à l’époque de son développement et déterminent l’affinité, la direction de l’intellect, furent, pour lui, Victor Hugo, Calderon, Pétrus Borel, Barbey d’Aurevilly. Il admirait Gongora, probablement sur parole, ayant eu l’intention de le traduire, mais s’étant arrêté juste aux éléments de la grammaire espagnole. Il avait gardé de ce contact exubérant une tendance à l’exagération et à la fanfaronnade. Ses élans mystiques, sa religiosité théâtrale, extérieure et livresque, car Verlaine ne fut guère qu’un croyant littéraire et un pratiquant accidentel, sont issus de cette alimentation au capiteux biberon du romantisme. Ses conversations, au cours des déambulations, arrosées aux caboulots du Quartier Latin, scandées du heurt inégal de sa canne sur les trottoirs sonores, ses aveux devant les soucoupes empilées, dans le voisinage