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à Paris, pour arrêter définitivement les détails de son mariage, qui, malgré tout, approchait. Les publications légales venaient d’être faites, et l’on avait juste le temps de s’occuper du tailleur, de la couturière, du bijoutier, et aussi du tapissier, et de l’ameublement du jeune ménage.

Mais un incident tragique troubla le jeune amoureux, à peine débarqué du manoir hospitalier : trois jours avant le mariage, un de nos amis, jeune écrivain, l’un des hôtes du salon Ricard, Lambert de Roissy, ayant perdu une maîtresse qu’il adorait, se brûlait la cervelle à Passy. Il avait informé Verlaine de sa funeste décision et l’avait chargé de diverses commissions.

Comme il revenait de l’enterrement de ce pauvre camarade, lourd d’énervement et de dépression, il s’attabla au café de Madrid, pour lire les journaux et se désaltérer. La ville était dans un état d’agitation fébrile et tragique. La guerre venait de commencer sérieusement, terriblement : les premiers coups de canon avaient été tirés, et déjà le sinistre fantôme de la déroute se dressait sur nos frontières envahies. En outre, une fausse joie avait enfiévré Paris. Une dépêche fabriquée avait annoncé une grande victoire : elle proclamait la défaite de l’armée du prince Frédéric-Charles. Mac-Mahon était dit maître des positions, avec des canons et des drapeaux pris à l’ennemi. Tous les boulevards avaient été en un instant pavoisés. Des cris d’allégresse montaient de toutes les poitrines ; aux terrasses des cafés, des propos animés et exaltés se répandaient d’une table à l’autre. On s’embrassait, on se tutoyait sans se connaître, on se racontait, en les amplifiant, les détails de la victoire. « Le prince Frédéric-Charles avait été entouré par des chasseurs d’Afrique et obligé de se