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cadé, la parole hachée, à la suite d’absorption d’apéritifs réitérés, ce qui serait désastreux et détruirait à jamais l’échafaudage de bonheur que son imagination édifiait.

Il se surveillait donc. Il était dans la situation de la parabole évangélique des Vierges, attendant la venue de l’époux. Il était devenu aussi un employé plus exact. Son sous-chef lui faisait des compliments. Son absence était remarquée au café du Gaz. Il rentrait de meilleure heure rue Lécluse, et ne se regimbait plus aussi fort quand sa maman lui proposait de l’accompagner dans quelque famille bourgeoise des Batignolles, où l’on jouait le bésigue, à un sou les deux mille, en prenant du thé avec des petits-fours secs.

Il était cependant parvenu, avec l’aide de Charles de Sivry, à échanger avec la jeune fille, restée en Normandie, quelques lettres. Pages innocentes par le fond comme par la forme, car il surveillait sa plume comme sa soif. Mlle Mauté lui avait annoncé son prochain retour à Paris. Elle lui faisait des recommandations de sagesse et de patience, avec des aperçus sur l’avenir. La petite personne raisonnait avec un sérieux magnifique. Elle disait que tout était pour le mieux entre eux : rapports d’âge, de goût, d’éducation, de bourgeoisie, d’argent même, et elle parlait, comme d’une chose certaine, et bientôt prochaine, de leur bonheur commun. Elle avait des déclarations d’économie et de prévoyance. Elle indiquait une sélection d’appartements. Un logement clair, fût-il un peu haut, serait le meilleur. On était jeune, on avait des jambes pour monter les étages. Elle s’occupait de l’ameublement du nid conjugal. Elle envisageait même la question des lits. Elle en voulait deux, l’un en palissandre, sévère et simple, pour lui, l’autre, pour elle, en capitons de perse, rose ou bleue.