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cet amour contenu par une sorte d’admiration, comme la vertu et la dignité doivent seuls en susciter. Il n’avait jamais été vraiment aimé. Il n’avait pas eu la vanité banale que procure l’attention d’une de ces femmes, dans les bras desquelles la sensualité, et l’ivresse parfois, l’avaient jeté, et qui auraient pu lui témoigner, comme cela arrive souvent, une préférence grossière : car la Vénus vénale a ses caprices et ses heures de libéralité. Il n’avait pu vérifier par lui-même l’aphorisme latin, cité par Cicéron : « Ab amico amante argentum accipere meretrix non vult. » Il savait très bien les pratiques mobiles et la cupidité reconnaissante de ces passives amantes, rencontrées au hasard des bouges, ou cherchées dans des marchés d’amour. Le sentiment qu’il avait de ses imperfections physiques et des difficultés qu’il lui faudrait vaincre, si, ressentant la passion, il voulait l’inspirer, ajoutait à ce sentiment tout neuf de joie et d’orgueil qui s’empara de lui, quand il se vit distingué, apprécié, désiré peut-être, par une jeune fille élevée dans des conditions de candeur et d’honorabilité complètes. De plus, il songeait, avec une vaniteuse satisfaction, qu’il était certainement le premier homme susceptible d’apprendre l’amour à cette jeune Mathilde. Elle n’avait, avant lui, regardé aucun mâle avec la pensée de devenir sa compagne. Elle était si jeune ! comme il l’a dit à plusieurs reprises, grande qualité, et aussi grave défaut. Il ne devait pas tarder à le savoir.

Aussitôt cette idée entrée dans son cerveau impressionnable, qu’il pouvait être aimé par cette jeune fille, qu’il était susceptible de paraître désirable à un être pur, naïf, aux sensations encore insoupçonnées, dont il serait l’initiateur, l’éducateur, et comme le Pygmalion animant sa statue, il fut dominé. Cette possibilité le grisa, l’étour-