Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/229

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Hélène. En outre, Sivry était un habitué des soirées Nina, et certainement, à plusieurs reprises, Charles avait parlé, chez sa mère, des gens qu’il rencontrait dans cette maison bruyante et fréquentée par des personnalités intéressantes, en passe de devenir célèbres. Il avait même apporté les œuvres du poète, les Poèmes Saturniens et les Fêtes Galantes. La jeune fille avait dû jeter un regard indiscret sur ces vers, d’une lecture permise, d’ailleurs pour elle sans grand intérêt.

Sur l’invitation de son frère, Mlle Mauté resta donc, et la conversation s’engagea. Elle dit à Verlaine qu’elle aimait ses vers, bien qu’ils lui parussent un peu forts pour elle, et le poète, touché dans son amour-propre d’auteur, le fut aussi par un autre sentiment.

Il lui sembla, — fut-ce une illusion ? il est très possible que ce n’en fût pas une, — que cette jeune fille le regardait autrement que la plupart des femmes déjà rencontrées, qu’elle n’avait pas fixé sur lui deux yeux ironiques, dédaigneux, cruels, insolents ou effrayés, de ces regards désespérants qu’il voyait dans toutes les prunelles que son désir avait cherchées. La jeune fille ne lui paraissait point avoir peur de lui. N’avait-elle donc pas remarqué sa hideur ? Après tout, peut-être n’apparaissait-il pas aussi laid qu’il se voyait lui-même ? Cette compatissante enfant le considérait-elle avec des yeux plus indulgents que ceux des autres personnes de son sexe, que ses amis, que lui-même ? Est-ce que par hasard… ?

Il n’osa pas aller jusqu’au bout de la supposition trop flatteuse, mais une prévention suffisamment favorable s’empara de son esprit, et il regarda étrangement cette jeune fille, quelques instants auparavant inconnue, ignorée, insoupçonnée, saluée avec indifférence, traitée en gamine. Il l’examina avec une attention profonde, tandis