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des héros des époques nébuleuses ont rénové la poésie. Il a substitué à la Christolâtrie lamartinienne, à la chevaleresque et féodale poésie de Victor Hugo, des évocations de pays lointains, des interprétations de religions mystérieuses, des paraphrases de cosmogonies barbares. Les paysages blancs et mornes du nord, les visions des fjords de la Scandinavie et des forêts celtiques accompagnaient ses tableaux, au coloris ensoleillé, de la végétation tropicale. Il évoquait les savanes natales et les îles océanes, en même temps que les rochers des skaldes et les pierres runiques. Voilà des monuments fermes de poésie, des blocs solides d’art robuste, qui demeureront en place tant que la langue française sera. Il faudrait un cataclysme intellectuel pour renverser ces durables édifices.

Il n’avait pas besoin, le grand artiste, de vocables inouïs, de formules spéciales, de rythmes extravagants, de néologismes inintelligibles et d’ellipses bizarres pour traduire le monde intérieur qu’il portait en lui. Pour rendre les formes plastiques, qu’il savait si admirablement fixer en des moules poétiques indestructibles, les mots intelligibles lui suffisaient. Il avait le dictionnaire de tous et sa grammaire était l’usuelle. Il respectait sa langue. Il gardait au mètre sa dignité. Il ne fut jamais un seul instant, ce chef des Parnassiens, le protecteur ou l’inspirateur des Symbolistes et des Décadents. La force et la simplicité furent ses attributs. Comme l’oiseau des Andes, qu’il a si magnifiquement chanté, il s’est enlevé au-dessus des vulgarités du sol, et quand la mort l’a enveloppé de son implacable rigidité, il est resté planant dans l’immortalité, et s’est endormi dans l’air glacé de la gloire, les ailes toutes grandes !

Barbey d’Aurevilly fut partial et cruel envers ce grand