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voir accourir à lui, sauf ensuite, par orgueil, et pour une jouissance suprême, à lui fermer sa porte. Mais il aurait voulu éprouver la satisfaction de repousser des hommages qu’on ne songeait point à lui apporter, et d’écarter de sa Tour d’Ivoire, ou plutôt de sa pagode, une foule idolâtre qui ne se souciait nullement de se prosterner sur les marches.

Leconte de Lisle avait conservé une secrète rancune de ses premières tentatives pour devenir un homme populaire, un élu de la foule. Venu des Îles avec une ardeur politicienne, une fièvre démocratique, depuis soigneusement coupée, déjà refroidie aux premières batailles de 1848, le jeune créole de la Réunion s’était jeté dans la lutte républicaine, lui le futur olympien, le roi des impassibles, le calme et froid contemplateur, digne et superbe, comme un Bouddha sur son trône, dans son fauteuil d’artiste. Il avait apporté dans cette mêlée la fougue d’un étudiant méridional. Il fut un orateur de clubs, un agitateur de formules novatrices, un partisan de la masse, un admirateur du nombre. Il prépara, avec d’autres jeunes créoles démocrates, comme Melvil Bloncourt, des plans de réformes ; il s’affilia à des sociétés révolutionnaires ; il aspira à la gloire de représenter quelques-uns de ces simples, de ces illettrés, de ces ignorants, pour lesquels ses livres projetés et ses chants futurs ne pourraient jamais être que des textes indéchiffrables, des sons incompréhensibles proférés dans un idiome inconnu. Il lui était resté dans l’âme comme un arôme persistant de cette floraison politique.

Toute sa vie, comme Renan, il conserva l’amertume au cœur d’avoir été dédaigné de ce suffrage universel, auquel il rendit, par la suite, en mépris, son dédain. De là, le plissement ironique de sa lèvre, la morosité de son