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deux imitations. Il en a trente-six pour trapèzes. C’est un vigoureux et c’est un varié. Il imite aussi M. Hugo. — M. Hugo, leur fatalité ! leur « anankè » à tous ! — mais bast ! il en imite bien d’autres. Qui le croirait ? Il va jusqu’à imiter Ossian ; il se coule le menton dans cette barbe postiche. Il est Scandinave. Il est barbare. Il est Grec. Il est Persan. Il peut être Persan ! Il étonnerait Montesquieu ! Il est tout, enfin, plutôt que d’être Français et poète du dix-neuvième siècle, un homme pour son propre compte d’humanité, tout simplement. M. Leconte de Lisle a choisi d’être un maître dans l’imitation systématique.

C’est dommage. Il aurait pu avoir peut-être de l’originalité. Disons-lui la vérité dans la langue symbolique qu’il adore. M. Leconte de Lisle est le véritable Hanouman de ce Parnasse contemporain. Hanouman, il le sait, est le dieu singe de la mythologie indienne, fils de Pavana, le dieu des vents (et des poètes creux !) qu’on représente avec une longue queue, suivi d’une troupe de singes, et tenant une lyre ou un éventail… Un éventail ! Ce n’est pas toujours contre la chaleur de ses vers.

Ce jugement pittoresque et amusant, plein de rosserie, comme on dirait aujourd’hui, était aussi rempli d’injustice. Leconte de Lisle fut, en effet, l’âme du Parnasse contemporain, et, bien plus que Victor Hugo, divinité qu’on saluait et vénérait à distance, le pontife présent et entouré d’une façon permanente des lévites du nouveau culte de la forme et de la beauté.

Barbey d’Aurevilly reproche à Leconte de Lisle de ne pas être un poète du dix-neuvième siècle, un contemporain. Il y a du vrai dans cette observation. Les poètes, dans la pensée de Leconte de Lisle et de tous ceux qui participèrent à l’éclosion du renouveau poétique de 1866, qualifié de « mouvement parnassien », devaient vivre, ou plutôt affecter de vivre en dehors de leur temps. Leur doctrine était non pas tant l’impassibilité que l’indifférence, l’isolement ; le poète fuyant par-dessus tout l’actualité, considérée comme vulgaire et importune, ne