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vieux garde haletant, soufflant. Ses cris : Halte !… Arrêtez-vous !… Arrêtez-les ! retentissaient tout proches, nous éperonnant. Puis ce ne fut qu’un brouhaha confus, une clameur assourdie, s’éteignant. Nous détalions toujours. Enfin, rouges, en sueur, avec de gros spasmes de respiration entrecoupée, nous avions atteint la gare : un train matinal arrivait précisément. En wagon, Verlaine se mit à ronfler, ce qui fit qu’il fut impossible de le faire démarrer à temps en gare des Batignolles. Descente à Saint-Lazare. Vin blanc avec croissant, chez un débitant du bas de la rue d’Amsterdam, en compagnie de facteurs et d’hommes d’équipe, et enfin rentrée, plutôt piteuse et dissimulée, dans nos familles. Il était six heures et demie.

Cette existence assez irrégulière, peu bourgeoise, s’accordait assez avec une compréhension de la condition du poète, de l’artiste, dans la société contemporaine, telle qu’on l’entendait et qu’on la pratiquait au temps des batailles de Hernani, quand, « sans pourpoint cinabre on était honni ». C’était la théorie des Jeunes-France qu’on reprenait. C’était aussi la bohème fantaisiste et outrancière de Pétrus Borel, de Lassailly et des autres romantiques, bien différente de la bohème carottière et geignarde d’Henry Murger, que ces jeunes écrivains revivaient. La plupart étaient, dans la journée, pourvus d’emplois sérieux, ou du moins peu folichons : Coppée, Verlaine, Mérat, Valade, Dierx avaient tous des bureaux où il fallait se rendre. Ils protestaient, le soir, par des déambulations accidentées, des veilles et des réunions interminables, contre la régularité et la monotonie de leur existence diurne. Ils étaient de véritables néo-romantiques. Avec cela, passionnés pour l’art, convaincus d’une sorte de mission rénovatrice, entendant des voix