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tait le personnage dont il est question, avec le costume de l’emploi, pantalon à carreaux larges, veston ouvert, chemise bouffante, cravate à nœud marin, casquette haute. Le gaillard était campé les mains dans les « profondes ». Cette charge, texte et dessin, fut sans doute inspirée par une promenade nocturne que nous fîmes, Verlaine et moi, vêtus de blouses et coiffés de casquettes à pont, achetées chez le fournisseur ordinaire des gentilshommes de la Villette, le chapelier Desfoux, rue du Pont-Neuf. Il nous avait pris fantaisie d’explorer les bals et les bouges du Combat et de Ménilmontant. Au bal Gelin, alors chaussée de Ménilmontant, Verlaine, avec sa face camuse, ses jeux perçants, son aspect étrange, eut un succès de terreur auprès des habitués des deux sexes. On le prenait pour un « mec » qui ne devait pas hésiter à jouer du couteau. On avala des saladiers de vin bleu avec deux ou trois danseuses de ce bal, où d’ailleurs on ne levait pas la jambe, où la gaîté avait quelque chose de morne, de contraint, où tout se passait, en apparence, paisiblement, patriarcalement, sous l’œil sévère des gardes municipaux, choisis parmi les plus râblés et les plus énergiques du corps. Grâce à ma connaissance de l’argot, nous pûmes soutenir assez bien nos personnages, et ne pas laisser supposer, ce qui pour la sortie aurait pu présenter quelque danger, que nous fussions des agents déguisés. Verlaine parlait peu ; il observait, fumait et buvait, oh ! solidement. Tout se passa sans autre incident qu’un colloque inattendu, au moment où nous allions quitter le bal, avec un maigre, blême et minable gamin, d’une quinzaine d’années au plus, qui, un éventaire accroché au cou, offrait aux clients des pommes, des oranges, des berlingots et des sucres d’orge.