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facilement et difficilement à la fois. Il fallait être de la troupe, apprenti académicien ou élève tribun, peu importait votre qualité littéraire, artistique ou politique, mais il fallait en avoir une. Tout bourgeois était éconduit, et, s’il parvenait à se glisser, n’y revenait plus, tant il était l’objet de brimades, dont quelques-unes raides, intolérables même.

On disait, entre jeunes poètes, artistes, peintres, journalistes, politiciens de Montmartre, du café de Madrid, du café de Fleurus : Allons chez Nina ! Et l’on partait tout à coup, en bande. Ainsi organise-t-on une partie de plaisir de nuit, une visite « dans le monde » ou « à la sous-préfecture » en province, après la manille au café, quand les établissements réguliers vont clore leurs volets et renvoyer les clients. Il n’y avait pas d’heure pour sonner chez Nina. La porte était ouverte toujours, et la nappe mise en permanence. Il y avait trois canapés, souvent occupés, après le départ du gros des habitués ; c’était le lit de repos de ceux qui habitaient loin, craignaient la rentrée trop matinale, ou la sonnerie trop tardive aux oreilles récalcitrantes de cerbères peu complaisants. À quelque heure qu’on se retirât, on n’était jamais le dernier. Je n’ai jamais pu savoir à quel moment Nina, enfin seule, se mettait au lit et goûtait un repos bien mérité.

Les notoriétés naissantes, les célébrités de l’avenir se coudoyaient chez Nina. On y voyait, avec son masque de premier consul, François Coppée récitant, d’une voix dolente, ses Intimités. Léon Dierx, évocateur des îles poétiques, secouait sa belle chevelure noire, en déclamant ses Filaos. Charles Cros décrivait, d’une voix moqueuse, les oscillations du hareng-saur, suspendu à un mur nu, nu, nu, au bout d’un fil long, long, long, conte