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logue des Poèmes Saturniens, cette théorie de l’abstraction poétique, de l’isolement du poète dans la société moderne, faisant de l’écrivain, — l’apôtre préconisé par Victor Hugo, — un fanatique égoïste, sorte de bonze de l’Art, se cloîtrant dans une pagode où ne parviendrait que la rumeur assourdie et poétisée des actes, des cris, des plaintes et des acclamations de la foule.

Dans l’épilogue de ces mêmes poèmes, il complète sa pensée. Non seulement le poète doit vivre, penser, sentir, à l’écart de ses contemporains, mais il doit se défendre intérieurement, dans sa conscience, dans sa pensée, de certaines promiscuités. Il lui faut d’abord se méfier de l’inspiration. Conseil sage et justifié. Les bons poètes possédant leur art à fond sont parvenus à faire difficilement des vers faciles. Boileau, excellent magister, prescrivait de remettre cent fois sur le métier la pièce de vers, qu’il comparait sans doute à une pièce de soie que tisse un laborieux et patient canut. Verlaine enseigne la défiance envers la facilité ; il prémunit contre le danger du lieu commun, non pas comme sujet, il n’est de beaux, de grands, d’immortels sujets que les lieux communs, mais comme expression ; il prémunit ses disciples contre le terriblement envahisseur cliché, ce chiendent du champ littéraire, qu’il est si difficile d’extirper, et qui pousse et repousse avec une si déplorable fertilité. Il recommande le savoir conquis à la lueur des lampes ; il vante ces deux vertus maîtresses de l’artiste : l’obstination et la volonté.

Et quels beaux vers jetés dans cette apostrophe vigoureuse d’un poète de vingt ans :


… Ce qu’il nous faut, à nous les suprêmes poètes,
Qui vénérons les dieux et qui n’y croyons pas,
… À nous, qui ciselons les mots comme des coupes,