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de Victor Hugo même. Il proclame l’abstention pour le poète, au milieu des luttes de la place publique, l’insouciance des différends qui agitent les hommes d’État et les citoyens. Il prêche l’isolement ; il admire la tour d’ivoire. Le monde, troublé par la parole puissante des poètes, les a exilés, qu’à leur tour ils exilent le monde. L’artiste ne doit pas mêler son chant aux clameurs de la foule, qu’il qualifie, sans respect pour le suffrage universel, d’obscène et de violente. L’œil du poète ne doit pas s’abaisser vers les choses vulgaires. Le prêtre du beau a pour autel l’azur et pour temple l’infini. Il ne doit participer en rien aux passions terre à terre, ni se mêler aux actes vulgaires des autres hommes. Il n’a pas à partager leurs deuils, comme il doit s’abstenir de leurs joies. Leurs querelles, leurs guerres, l’orgueil des républiques, l’arrogance des monarchies, la gloire militaire, la puissance industrielle, l’extension prodigieuse de la science, l’expansion commerciale, le bien-être général, l’enseignement à la portée de toutes les soifs de savoir, le travail amélioré, les misères sociales et les souffrances individuelles atténuées, tout cela, qui est le labeur démocratique et civilisateur des sociétés modernes, doit le laisser impassible. Le rêve ne doit pas se mêler à l’action.

Cette théorie, alors neuve, hardie même, puisqu’elle contrecarrait l’opinion, puisqu’elle heurtait la légitime admiration pour Victor Hugo, éducateur, philanthrope, socialiste humanitaire et démagogue théoricien, fut bientôt reprise, développée, commentée, vulgarisée. La presse s’en empara, railla, approuva, attribuant l’originalité de la doctrine et l’initiative de sa formule à diverses personnalités en vue, à Leconte de Lisle, à Alfred de Vigny, à Victor de Laprade. C’est Verlaine qui l’avait le premier présentée, en des vers forts et nets, dans le pro-