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moment de la représentation d’Henriette Maréchal. Verlaine était au premier rang de ceux qui soutenaient la pièce d’Edmond de Goncourt. Ceci montre l’éclectisme de la jeune école parnassienne. Rien n’était plus loin de l’esprit poétique du Parnasse que la modernité, le brutalisme et la sécheresse d’art des Goncourt. Cependant tout le Parnasse fit chorus. Il assista au grand complet aux représentations tapageuses, et acclama ce drame, en réalité secondaire et assez banal, qu’une cabale violente, mais déraisonnable, réussit à faire tomber et connaître. Leconte de Lisle, assis derrière moi à l’orchestre, me dit, au milieu du tumulte : « Je ne sais pas trop ce que nous venons faire ici ! » Je dus répondre que « Pipe-en-bois, auteur de la cabale, n’en savait pas plus que nous, mais qu’on était là pour lui répondre ». Il y eut toujours de l’obscurité dans cette bagarre. Elle était plus politique que littéraire. Pipe-en-bois et les étudiants reprochaient aux Goncourt de s’être fait jouer au Théâtre-Français grâce à la protection de la princesse Mathilde. Beaucoup d’entre nous n’étaient pas cousins avec la princesse, et personne ne songeait à défendre son patronage ; quant aux frères de Goncourt, ils étaient d’une autre génération littéraire, et leur manière, tout à fait opposée au romantisme, au lyrisme, à la poésie, n’aurait pas dû nous avoir pour enthousiastes. Mystère et contradiction ! Au fond, nous cherchions une occasion de faire du bruit, de manifester, de révéler notre existence. Henriette Maréchal ne fut qu’un prétexte. Tous les journaux parlèrent des étudiants qui sifflaient et des poètes qui applaudissaient. Et puis cette entrée en scène, ce groupement, cette invasion d’un théâtre par un cénacle bruyant, impatient de prouver qu’il existait en faisant du bruit, comme la coterie romantique aux jours