Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/146

Cette page a été validée par deux contributeurs.

emplissait Ortygie en poursuivant les fauves léopards. Les Trophées, triomphal recueil, publié vingt-cinq ans plus tard, datent de cette époque.

Le musicien Emmanuel Chabrier se mettait au piano, et couvrait de ses arpèges et de ses accords la voix des poètes discutant dans un coin des questions de métrique. Il avait écrit de la musique originale et colorée sur la ballade de Victor Hugo, le Pas d’armes. Il la chantait souvent, isolé, au piano, sans s’occuper de nous.

Quelques hommes célèbres passèrent dans ce salon des Batignolles, mais plus tard, quand ses habitués eurent conquis la notoriété. Edmond de Goncourt y vint assister à une représentation du Ier acte de Marion Delorme où Coppée jouait le rôle de Didier. Théodore de Banville, Paul de Saint-Victor, Xavier Aubryet y firent des apparitions. Verlaine et moi, nous avions pour spécialité les charades, que nous improvisions, et dont les personnages et les actes de l’Empire faisaient les frais. Mon masque imberbe se prêtait facilement à la reproduction de Napoléon Ier ; en ajoutant des moustaches et une barbiche, faites au bouchon noirci, je donnais tant bien que mal la silhouette facile de Napoléon III, dont tout bon sergent de ville semblait le sosie. Verlaine était toujours le révolutionnaire, le conspirateur, qui veut attenter à la majesté du trône et changer son ordre de successibilité, comme disaient les procureurs du Palais-de-Justice. Toutes ces bouffonneries, qui avaient cependant un caractère d’actualité aigu, satirique, n’étaient pas tout à fait sans danger. La police, lors très en éveil, pouvait écouter aux portes, et nous faire réfléchir, grâce à la magistrature dévouée, sur « la paille humide», au péril des charades trop contemporaines. Elles se terminaient par