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PAUL VERLAINE

À demi penché sur le balcon, je regardais anxieusement défiler les soldats, le long de la maison. La colonne, en cheminant, laissait à découvert la chaussée et le quai. Il me sembla reconnaître une ou deux physionomies, d’en haut, mal entrevues sous le képi, mais j’étais persuadé d’apercevoir, dans ces soldats avançant lentement, regardant avec circonspection autour d’eux, des visages connus.

Je demandai à Richard :

— Toi qui as une vue excellente, peux-tu me dire quel est le numéro de ce régiment ?

Émile Richard se pencha à son tour, il regarda, et, d’un ton assez indifférent, ne se doutant nullement de l’importance du renseignement, demandé à tout hasard et si fortuitement favorable :

— C’est le 110e, répondit-il, en rentrant vivement tête et bedon, car une balle venait de siffler, perdue probablement, peut-être aussi tirée à dessein sur la silhouette aperçue au balcon, prise pour l’apparition d’un insurgé embusqué.

— Vite ! en bas ! m’écriai-je avec joie, en route ! sans perdre une minute !…

Et entraînant Émile Richard vers le groupe des Verlaine, en ce moment rassemblés dans une pose sympathique, comme chez le photographe, j’expliquai brièvement les motifs qui me poussaient à commander la retraite immédiate. Le 110e de ligne était le régiment dont je sortais, où j’avais fait la campagne comme volontaire. Les hommes qui défilaient sous les fenêtres étaient mes camarades. Je les avais quittés deux mois auparavant, au licenciement des engagés pour la durée de la guerre. Je n’avais rien à craindre d’eux, n’étant ni garde national, ni combattant. Ils ignoraient certainement que