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PAUL VERLAINE

Il logeait au quatrième étage, dans la maison portant le no 2 de la rue Cardinal-Lemoine. L’appartement avait son balcon sur le quai de la Tournelle, en face le pont Marie. Un vaste espace s’étendait, et dans quel flamboiement de soleil et d’incendie !

De là on découvrait un impressionnant paysage parisien. On plongeait sur la Seine, on apercevait les hauteurs de Passy, Montmartre, Belleville, et le fond de la Seine vers le Grenier d’abondance, Ivry et Charenton. En face, tout près, Notre-Dame, noire et reposante ; sur le côté, l’Hôtel de Ville, rouge, et à gauche, le Palais de Justice tout noir, enveloppé de fumées épaisses, d’où, par moments, dardaient d’énormes langues violacées, des jets de flammes sombres. Et tout cela flambait, crépitait, craquait, s’écroulait, s’effritait. Le ciel devenait tout ténébreux, avec d’immenses reflets cramoisis. Une forge dans une caverne. Comme des vols de corbeaux ou de chauves-souris, des feuilles de papiers noircis, calcinés, recroquevillés, voletaient, s’abattaient, reprenaient leur course aérienne, planaient, tourbillonnaient, ou montaient tout à coup, cerfs-volants chimériques, fantastiques aérostats, vers les nuages fuligineux, et disparaissaient à la vue. C’étaient les détritus des archives de la Cour des Comptes, du Conseil d’État, de la Préfecture de police, que l’incendie dispersait ainsi. Le ciel était lapidé avec du papier noirci.

L’Hôtel de Ville rougeoyait, avec des trophées de flammes, jaillissant de ses hauts combles, comme des banderoles de fête. L’édifice demeurait à peu près intact, d’apparence. Son bloc se tenait encore. Avec ses verrières brisées, ses fenêtres sabordées, on eût dit, immense et monstrueux, un de ces édifices en bois sculpté qu’ouvragent de naïfs sculpteurs italiens, et que de l’intérieur