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VERLAINE EMPLOYÉ

1871. Nous étions pris à peu près entre deux feux : les troupes de Versailles avaient gagné le long de la Seine, et les fédérés occupaient encore des barricades, rue des Nonnains d’Hyères, rue Monge, boulevard Saint-Germain, boulevard Bourdon. Il était dangereux de reculer ou d’avancer. Je proposai à mon compagnon de nous réfugier chez Paul Verlaine, qui demeurait près de là et qui se trouverait chez lui, car je pensais bien qu’il ne flânait pas du côté de la fusillade.

Nous le rencontrâmes, en effet. Il n’était pas sorti, comme il l’a dit. Il avait passé la journée de la veille, dans un cabinet de toilette sans fenêtres, affolé par la canonnade. Dans ce réduit obscur, il cherchait cependant à attirer la petite bonne, pour la rassurer, disait-il, pour se rassurer aussi sans doute. À deux on est plus brave.

Nous n’étions ni noirs de poudre, ni équipés en gardes nationaux, comme l’a narré Verlaine, ayant mal retenu la réalité des faits, car son émotion était forte et notre arrivée l’accrut. Émile Richard avait seulement un képi et un pantalon à bande violette, car il était étudiant en médecine, et avait servi aux ambulances pendant la guerre. Nous revenions, Richard et moi, de faire, rue d’Aboukir, notre journal, le dernier numéro du Tribun du peuple. J’étais habillé comme je l’avais été pendant toute la durée de la Commune, en vêtement civils, sans écharpe ni insigne, bien que délégué au Conseil d’État.

Le pauvre Paul était si effaré qu’après un repas expédié à la diable, omelette, charcuterie et salade, il ne voulut jamais consentir à monter sur le balcon pour contempler la magnificence hideuse du spectacle. Un panorama d’empereur romain !