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proches perçurent un faible murmure, la voix d’un homme renversé qui essayait de crier encore : « Vive la République ! » Le commandant Arnaud gisait sanglant, allongé sur le sol, la tête de côté à demi soulevée, un bras en avant dans un instinctif mouvement de protection. Il laissa enfin retomber sa tête sur la terre, et ne bougea plus. Un des fusilleurs s’approcha, le revolver à la main, se pencha, et dans la direction de l’oreille tira à bout portant l’horrible coup de grâce traditionnel. La foule alors s’écarta. Puis elle s’écoula grondante et grognante. Bien peu de ceux qui la composèrent et qui ont voulu, qui ont exigé ce meurtre, osèrent regarder à terre. Quelques-uns, en passant devant le cadavre, machinalement se découvraient. Sans tourner la tête, la plupart se hâtèrent de quitter le Clos Jouve. Les gônes s’étaient enfuis, peureux, dès que l’homme fut tombé. Chacun des assistants, indécis et mécontent, regagna son logis, laissant la réunion et l’émeute interrompues. L’irritation nerveuse des femmes était tombée avec la secousse des détonations. La fièvre des hommes aussi s’apaisa : la vue du sang l’avait coupée.

Ce crime, identique à tant d’autres qui tachent les insurrections à leur début, et qui sont comme la mise en train de la machine révolutionnaire, fut un acte impulsif de la foule, un de ces méfaits de la collectivité, dont tout le monde est coupable et personne responsable. Ceux même qui ont directement participé au meurtre, qui ont déchargé leurs armes sur l’infortuné commandant, ont agi à peu prés inconsciemment. Ce fut comme une électricité, accumulée en eux, qui dégageait l’étincelle. Ces explosions de fureur, comme celle dont M. de l’Espée, à Saint-Étienne, fut la victime, comme le meurtre des généraux Clément Thomas et Lecomte, ne sauraient être imputées à aucun parti. Les foules orageuses, en temps de révolution, sont sillonnées