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ses sorties de prison. Auguste réclamait les papiers, notes, articles, travaux historiques qu’il lui avait laissés en dépôt. Jérôme, à la mort de Mme Blanqui mère, et sur sa recommandation, avait brûlé ces précieux documents, par crainte sans doute des perquisitions possibles et des tracasseries de police.

Auguste Blanqui avait épousé Amélie Suzanne, âgée de dix-neuf ans. Une délicieuse, mais bien courte idylle, fut sa vie conjugale. Il conserva toute sa vie l’enchantement de ces minutes heureuses si vite enfuies. Il avait passé, avec sa jeune épouse, des journées charmantes et brèves, à Jancy, dans une maisonnette, aux bords de l’Oise. La jeune femme fut emportée en 1841, à vingt-six ans, par la phtisie, aggravée par la tristesse et l’inquiétude. Blanqui était alors enfermé au Mont-Saint-Michel, et ne put recueillir son dernier souffle. Pour lui, le deuil fut perpétuel. La prison concentre les affections comme les douleurs, et empêche l’oubli, la dilution des sentiments dans le torrent de la vie, ainsi que chez les autres hommes. Le captif perpétuel garda, jusqu’à son heure dernière, la poignante hantise de la triste séparation. Ses interminables années de solitude forcée, il les vécut désormais en tête-à-tête avec l’image de la morte, avec le souvenir de son amour dont il subissait la posthume et cruelle imprégnation.

D’Amélie Suzanne, il avait eu deux fils, l’un mort en bas âge, l’autre qui survécut, et fut pour lui un sujet de déceptions et de chagrins. Ce n’est pas que cet enfant devint un mauvais fils dans le sens ordinaire du terme. C’était un bon commerçant, ce qu’on nomme un brave homme, probe, laborieux, rangé, mais pour Blanqui, un bourgeois, c’est-à-dire un être de sentiments, d’opinions et d’allures entièrement opposés à ses idées, à ses convictions ; un adversaire politique. Cet enfant, élevé loin de lui par des