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lambeaux, la tignasse en désordre, pas lavés, ayant combattu deux jours, passé deux nuits à l’air et sans sommeil, affamés, altérés, quelques-uns saignants, endoloris, d’autres malades, tous désemparés, angoissés, plusieurs effrayés, tous misérables. Cette société de gens distingués, se sachant protégée, n’ayant plus peur, insulta avec entrain ces malheureux. Bientôt aux outrages, aux ricanements, aux mots orduriers, tombés de bouches roses et de lèvres pincées, s’ajoutèrent les coups. Les cannes s’étaient levées ; au-dessus des têtes houleuses, elles formaient entre croisées, une voûte de haine sous laquelle passait, en courbant l’échine, en se protégeant mal du bras reployé, le troupeau lamentable des vaincus. Au devant des visages, les mains se tendaient furieusement afin de les meurtrir. Chacun s’empressait à cette curée chaude, avide de happer un morceau de chair. Ils se rengorgeaient triomphants, ceux qui parvenaient à écraser un nez, à déchiqueter un lobe d’oreille. Quand les poings se heurtaient à l’obstacle des dents ou effleuraient la mâchoire sans la fracasser, il y avait du dépit, et l’on recommençait à taper au hasard, dans l’espoir de rencontrer le menton ou toute autre partie vulnérable et saillante, au petit bonheur. De la gaine des gants sortaient de jolies mains armées d’ongles aigus. Les dames distinguées, les autres aussi, cherchaient à atteindre le front, la nuque, la joue, les yeux, les yeux avant tout, et à les griffer. Par ces dames à l’affût, les femmes étaient surtout guettées. De loin on les visait au passage, comme un gibier déboulant : Quelques loustics sadiques suivaient la chasse, attentifs, proposant de retrousser les jupes et de farfouiller, avec cannes et parapluies, ces dessous en loques et certainement peu soignés. Des élégantes, plus avisées, plus entreprenantes aussi, se baissaient, se faufilaient entre les chevaux de l’escorte, sans craindre les ruades, et parvenaient à glisser,