joindre à temps entre Nanterre et Rueil. Il ne put que le soutenir et modérer la ruée dans la débandade. Ne voulant pas battre en retraite, bien qu’il ne pût guère plus compter sur ses troupes démoralisées, il tourna bride, revint comme conduit par la fatalité vers Rueil, où il devait trouver la mort.
Henry Bauer, qui fut son compagnon de détention à Mazas, après le 31 octobre, a tracé de lui ce portrait sympathique et coloré :
C’était un être d’exception dont le souvenir ne m’a jamais quitté, une nature charmante et exquise d’illuminé, un tempérament de don Quichotte assez passionné de gloire, de renommée, pour être la dupe de leurs apparences et les confondre avec le vain bruit. Ses traits vivent dans mon âme, attendrie à sa chère mémoire : encadrée de barbe blonde, sa figure allongée, au front haut, aux yeux bleus, rêveurs et inspirés, à la bouche de sourire naït, puérile et douce de Christ d’un tableau primitif, surmontant le grand buste mince, aux longues jambes de jeune homme de trente-trois ans, un Corps de nerfs, sans cesse en éveil, agité…
Il était le soldat désigné de la guerre des rues, l’audacieux constructeur de toutes les barricades. S’il parut un compromettant auxiliaire aux républicains parlementaires, si les révolutionnaires de journal et de club blâmaient ses échauffourées et affectaient de dédaigner le casse-cou, il gagna la faveur du peuple et des jeunes hommes indifférents aux combinaisons de lx politique, étrangers aux atermoiements des partis. La foule généreuse aime le courage tumultueux et sourit au roman des coups de main inconsidérés. Il conquit parmi elle une popularité retentissante ; il fut le héros dont tous les hommes d’action répétaient le nom avec enthousiasme, comme celui de Bayard, comme la signification de bravoure, de dévouement à toute épreuve.
Son ambition était exempte de calculs et de complication. L’action, l’aventure l’enivraient et la renommée, la popularité bruyante étaient pour lui inséparables de cette ivresse. Il vivait dans un rêve, hors de sa passion, il ne comprenait rien à la vie pratique. Je n’ai pas connu d’homme qui restât aussi indifférent