Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Maxime Lisbonne, qui assistait à cette première phase de l’action, en a donné le pittoresque récit suivant :

J’avais été désigné pour conduire de l’artillerie à la Porte-Maillot. À cinq heures du matin, Bergeret arriva en voiture, les portes furent ouvertes et le mouvement commença. Comme je n’avais été envoyé par le Comité Central que pour représenter la Fédération, c’était aux officiers d’état-major du général qu’il appartenait de prendre les dispositions nécessaires pour la mise en route de cette colonne. Aussi restai-je en place à la Porte-Maillot, suivant seulement le mouvement. Je m’aperçus que la tête allait toucher le pont de Courbevoie (Neuilly), étant en colonnes serrées par pelotons. Alors je n’hésitai pas, étant seul, à franchir au galop la distance qui me séparait du chef de bataillon qui était en tête, et lui ordonnai de faire rompre ses pelotons et de marcher en colonne de route. Le mouvement s’exécuta et fut suivi par les autres bataillons.

Le Mont-Valérien ne tira que lorsque les fédérés furent presque sur la route qui longe le fort et descend à Nanterre. Si le commandant du fort eût commencé à faire tirer sur la colonne lorsqu’elle était à la hauteur du pont de Courbevoie, les bataillons qui ont passé sous le fort avec le général Bergeret ne seraient peut-être pas parvenus jusque-là. La tête de la colonne arrivait sur le plateau qui fait face au fort et fut surprise par le premier obus qui brisa la voiture du général Bergeret, et dans laquelle venait de monter un officier d’état-major pour porter des ordres. Cet officier fut tué.

Aussitôt les cris de « À la trahison ! » eurent un effroyable retentissement dans toute la colonne. Il n’y avait pas à hésiter : marcher en avant et quand même ! Telle fut ma résolution. J’ordonnai au maréchal-des-logis chef Pélissier de mettre immédiatement deux pièces en batterie et de battre er brèche le fort. Il le fit, mais au même moment un obus siffla aux oreilles des chevaux qui prirent peur et se mirent à prendre leur course à travers champs, emmenant les caissons.

La garde nationale ne voulait plus avancer. Mohamed ben Ali (l’ordonnance de Lisbonne, un turco), bravement campé devant le fort exécutait, une fantasia, d’une main faisant le moulinet avec son sabre et de l’autre déchargeant son chassepot sur le fort. Le pauvre turco semblait par cette attitude vouloir ramener la con-