Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/220

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partie les illusions de la Commune, du moins en ce qui concernait la faiblesse de Versailles et la force de Paris. Cette cohue turbulente se sentait rassurée par son nombre. Elle croyait que, devant sa masse, les troupes ne tiendraient pas un instant, qu’elles fuiraient ou qu’elles jetteraient leurs armes. On n’aurait de résistance à craindre que de la part des gendarmes, des sergents de ville, déguisés en lignards, disait-on, et aussi du côté des fameux zouaves de Charette et des chouans fanatiques de Cathelineau. C’était à ces papalins et à ces mouchards que la naïveté populaire attribuait la fusillade de la matinée et la poursuite jusque dans Neuilly. Pour ces pauvres gens, abusés par le ton des proclamations, Versailles n’avait pas d’armée sérieuse. Si les soldats n’avaient pas tous lâché pied, le matin, à l’approche des quelques compagnies fédérées se dirigeant sur le rond-point de Courbevoie, c’est qu’ils étaient encadrés par des forces policières. Quand on aurait percé ce faible rideau de sergents de ville et qu’on se trouverait en face de la véritable armée, celle des soldats par force, on verrait venir ces enfants du peuple ! Ils échapperaient à leurs gardiens ces prisonniers des gendarmes. Encadrés par des policiers, marchant sous l’œil des chouans, ils s’évaderaient étant secourus, et, ayant retrouvé leur liberté, ils en useraient. Auraient-ils le courage de tirer sur leurs frères ? sur ceux qui leur apportaient la délivrance ? On fraterniserait donc comme sur la place Pigalle, au Dix-Huit mars. Il ne fallait pas tirer sur eux, mais leur tendre la main, et les emmener prendre un verre à la prochaine cantine !

Si quelque sceptique, ou un esprit méfiant, comme il s’en trouve dans les foules les plus enthousiastes, se risquait à murmurer : « Et le Mont-Valérien, est-on sûr qu’il ne tirera pas ? » On regardait de travers le malencontreux alarmiste et on était disposé à le traiter de Versaillais. S’il insistait