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commencement d’une action, dont on ne pouvait prévoir la fin, leur paraissait une expérience aléatoire, maladroite même, puisqu’elle aurait pour résultat, pensaient-ils sottement, de pousser M. Thiers et l’armée en avant. L’ère des illusions, pour eux surtout, continuait. Avec obstination ils bouchaient leurs oreilles aux bruits venus de Versailles, et fermaient les yeux en face des mouvements des troupes. On avait beau leur dire que M. Thiers rassemblait des régiments de plus en plus nombreux, que ses avant-postes se rapprochaient chaque jour, que l’Assemblée ne voulait pas entendre parler de conciliation, qu’elle pressait le gouvernement et les généraux d’en finir, qu’enfin on répétait partout, dans les journaux, dans les cafés, dans les salons, que M. Thiers entendait rentrer à Paris prochainement, mais après un assaut décisif, ils hochaient la tête, ils continuaient à temporiser, à laisser les fusils en faisceaux, à conserver les bataillons dans leurs postes urbains. Ils employaient les heures d’attente, les plus instruits à relire l’histoire de la Révolution, et les autres à se gargariser avec des lambeaux de discours de réunions publiques et des fragments de proclamations qu’ils se récitaient entre eux, en attendant le moment de les placer à la tribune. La plupart de ces illusionnistes s’imaginaient, de très bonne foi, que la Commune était inattaquable et invincible. La victoire si aisée, si inattendue, du 18 mars, illuminait tout autour d’eux, et, dans leur rêve éblouis, ils escomptaient l’heure psychologique où Thiers et l’Assemblée, se reconnaissant impuissants à résister plus longtemps à la volonté de Paris, demanderaient à traiter sur les bases qu’il plairait à la Commune de fixer. Ils ne conservaient de doutes que sur l’étendue des concessions qu’il conviendrait alors d’accorder. Exigerait-on, comme il en avait été question, la retraite de toute armée permanente