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des braves qu’il avait sous ses ordres, en les taquinant pour quelques bouts de rubans, superflus, sans doute, mais excitateurs du courage, Cluseret aurait dû aller faire plus souvent connaissance avec les galonnés de la Porte-Maillot[1]. Mais le général quaker aimait mieux écrire des circulaires dans son cabinet de délégué, que de mêler son correct veston bourgeois aux vareuses salies et déchiquetées des artilleurs. La guerre était pour lui un spectacle dans un fauteuil. Il l’a avoué avec une naïveté un peu cynique :

À défaut d’autres qualités, j’ai une grande expérience pratique : Je peux suivre à peu près toutes les péripéties d’une action, étant connu l’échiquier, sans y assister. C’était le cas à Issy. Sans quitter la fenêtre du ministère, je suivais exactement les progrès de l’action par le bruit, et quand les ordonnances revenaient rapporter les nouvelles, ils ne faisaient que confirmer ce que j’avais dit à ceux qui m’entendaient.

Cluseret fut donc, malgré son expérience militaire incontestable, un déplorable général en chef. Comme à Trochu, la foi dans ses troupes lui faisait défaut, il ne crut pas à la possibilité de la résistance, encore moins à la victoire. Il est fâcheux qu’on l’ait laissé plus de quatre semaines chargé de diriger une lutte qu’il jugeait d’avance perdue. Nous pouvons à distance, et avec la connaissance

  1. L’auteur, le 16 avril, a eu l’occasion, comme journaliste, de voir de près cette batterie dite « La Marseillaise ». qui défendait la Porte Maillot. Le capitaine, nommé Monteil, avait peut-être sur sa vareuse brûlée par la poudre, trouée de balles, quelques aiguillettes qui n’étaient pas d’ordonnance, mais quel brave sous cet uniforme en loques, qui n’était point de parade ! Cluseret lui-même a rendu un juste hommage à ces vaillants : « Batterie héroïque, a-t-il dit, plus noire, plus bronzée que ses Canons, recrutée je ne sais où, et offrant un salmigondis d’enfants, de vieillards, de marins, de civils, le tout uni par un triple lien : la bravoure, l’amour de la liberté et celui de leurs pièces, avec lesquelles ils couchaient. Pointeurs excellents d’ailleurs. » (Mémoires, p. 173.)