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indique le sang-froid, le calme inaltérable du tempérament, mais aussi la lenteur de conception, la mollesse d’action, qu’on lui a tant reprochées depuis. Les yeux ont une finesse spirituelle, le sourire est ironique, le geste nonchalant. Le général se croit supérieur à sa mission ; il peut être habile, mais doutant de la bonté de la cause qu’il défend, des hommes qui la servent, des troupes qu’il commande ; il manque évidemment de la volonté prompte et ferme, indispensable à un chef révolutionnaire.

Le général est en bourgeois : à sa boutonnière rougeoie le ruban de la Légion d’honneur. D’ailleurs, comme s’il craignait de paraître prendre son grade au sérieux, il ne s’habille jamais en militaire, et, bizarrerie d’un gentleman, il se coiffe ordinairement d’un chapeau mou. Les uns admirent, les autres blâment ce superbe dédain du galon, mais la garde nationale aimant l’uniforme, la tenue de Cluseret nuit à son prestige.

Et Louis Barron complète son portrait par cette dernière touche :

Il parlait en se caressant la barbe, d’un geste un peu fat de vieux beau garçon. Sa voix grasse bredouille, la netteté de la parole lui fait défaut comme la netteté de l’esprit.

(Louis Barron. — Sous le drapeau rouge. Savine, éd. Paris, 1889.)

Le port affecté du costume civil, le chapeau mou, les allures de bureaucrate, dont Cluseret ne s’est jamais départi, même aux heures où la tenue militaire pouvait paraître de rigueur, passaient sans doute pour une originalité, pour une habitude de simplification rapportée de la démocratique république américaine. Aux États-Unis cependant les officiers portaient en service leur uniforme et exhibaient, comme c’est logique, les insignes de leur grade. Mais ils s’abstenaient de toute décoration. Cluseret dérogeait aux usages yankees en gardant soigneusement sa boutonnière ornée du ruban rouge que lui avaient valu ses exploits en juin 1848. C’était là au moins une bizarrerie, et un défaut de tact aussi pour un chef d’insurgés. Il