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fait tirer sur leurs camarades, quand il dirigeait les mines d’Aubin. Dans ce bassin houiller, aux dernières années de l’empire, à la suite d’une grève, avait éclaté une fusillade demeurée odieuse et légendaire. Aubin, la Riccamarie, ces noms sinistres, cités par un orateur ouvrier, soulèvent aujourd’hui encore, avec l’évocation de la plus récente fusillade de Fourmies, des exaltations vindicatives dans les milieux grévistes. Le malheureux de l’Espée balbutia pour sa défense qu’il n’avait jamais été ingénieur à Aubin. Il indiqua une autre mine, où il avait été directeur et où rien de fâcheux ne s’était produit. Il y avait erreur manifeste. Des ouvriers d’Aubin, qui se trouvaient dans la salle, certifièrent son dire. Une certaine détente s’ensuivit. Et puis, l’heure s’avançait et les estomacs réclamaient une trêve. La salle peu à peu se vidait. Il ne restait plus que quelques gardes nationaux, et comme des camarades étaient venus leur apporter leur repas, ils se mirent en mesure de se restaurer et offrirent aux prisonniers de prendre des aliments avec eux.

Cette offre fut aussitôt, et avec satisfaction, acceptée. Le préfet se crut sauvé. Ses compagnons d’arrestation lui assurèrent que cette population n’était pas aussi féroce qu’il pouvait le croire. Il y aurait peut-être eu danger pour lui, ajoutèrent-ils, si les ouvriers avaient été persuadés qu’il était responsable du sang versé à Aubin, mais il s’était complètement disculpé, et on ne reviendrait plus là-dessus. Qu’avait-il à redouter ? La lassitude avait du reste gagné les émeutiers. Ils étaient partis et probablement ne reparaîtraient plus, de la soirée au moins. Le lendemain, s’ils revenaient, ils trouveraient sans doute, pour leur répondre, les troupes que le général Lavoye attendait de Montbrison. Le préfet, rassuré par ces paroles optimistes que lui adressaient de bonne foi le procureur de la République et un autre compagnon d’arrestation, reprenait confiance, faisait